09-11-2021/Osenat Fontainebleau

SEVRES
Résultat : 350.000 € - Etude Osenat, 9 novembre 2021, Fontainbleau

Résultat 350.000,00 euros

SÈVRES

Rare assiette à dessert du service particulier de l’Empereur dit service des quartiers généraux représentant au centre la fête sur le mont Saint-Bernard à l’occasion des funérailles du général Desaix, montrant des officiers réunis sur la montagne enneigée, certains descendant en luge, l’aile à fond vert de chrome décorée en or d’une frise de glaives reliés par une guirlandes de feuilles de laurier et alternées d’étoiles.
La scène signée Swebach en bas au centre.
Marques au revers : la marque de la manufacture impériale de Sèvres effacée et remplacée par le chiffre de Louis XVIII, deux L entrelacés gravés rehaussés en noir, n° 42 gravé et rehaussé en noir. Marque en creux D C.
Peinte par Jacques François Joseph Swebach (1769-1823) en juillet 1808.
Epoque Empire, année 1808.
Emportée par Napoléon lors de son exil à Sainte-Hélène.
D. 23,2 cm.
Un petit éclat restauré sur le bord.
Au revers, une étiquette Collection Nicolier.
140.000/180.000 €



PROVENANCE :
Service particulier de l’Empereur, livré au Palais des Tuileries le 27 avril 1810
Emportée par Napoléon à Sainte-Hélène

LE SERVICE PARTICULIER DE L’EMPEREUR


En octobre 1807, l’Empereur Napoléon 1er commande un nouveau service à la manufacture de Sèvres pour remplacer le service Olympique qu’il vient d’offrir au Tsar Alexandre 1er. Ce service, nommé service particulier de l’Empereur ou plus tard Service des Quartiers Généraux, est livré le 27 avril 1810 au Palais des Tuileries, juste à temps pour figurer sur la table de banquet du mariage avec Marie-Louise le 2 avril 1810.
Le service se composait d’un service d’entrée et d’un service de dessert accompagné d’un large surtout en biscuit composé de vingt-cinq sculptures et un cabaret égyptien de vingt-neuf pièces, l’ensemble pour la somme considérable de 69.549 francs. Une peinture par Alexandre Dufay dit Casanova, aujourd’hui conservée de au Château de Fontainebleau, illustre le banquet du mariage où sont représentés autour du service Grand Vermeil de l’Empereur plusieurs éléments du surtout en biscuit. Le service comportait 72 assiettes à dessert peintes, 24 assiettes à potage et 24 assiettes à dessert nommées assiettes à monter à bordure seulement.
Pour les assiettes peintes, l’instruction de Napoléon transmise par Daru à Brongniart est la suivante : que parmi ces dessins, il n’y ait point de bataille ni de noms d’hommes mais qu’au contraire, les sujets n’offrent que des allusions très indirectes qui réveillent des souvenirs agréables. Lors de la 1ère Restauration en 1814, les soixante-douze assiettes conservées aux Tuileries sont envoyées à la manufacture de Sèvres afin d’y faire meuler la marque du premier Empire pour la remplacer par les deux L entrelacés gravés en noir, chiffre de Louis XVIII. Chaque assiette est alors également numérotée en creux et en noir. Napoléon retrouve son service pendant les Cent-Jours et après Waterloo, en juin 1815, Fouché l’autorise à emporter soixante assiettes à Sainte-Hélène. Napoléon n’utilise pas ce service de crainte qu’il ne soit cassé. Il offre deux assiettes lors des étrennes de 1817, l’une à Mme Bertrand, l’autre à Mme de Montholon. Ali note dans ses commentaires : « A Diner, [l’Empereur] s’amuse à regarder les peintures des assiettes du beau service de porcelaine de Sèvres. Il est à observer que sous ces assiettes, les Bourbons avaient fait graver le chiffre de Louis XVIII, des L opposés ». Dans son testament, Napoléon charge le comte Montholon de garder les assiettes et de les remettre au duc de Reichstatd à ses seize ans. La Cour de Vienne refuse ce legs et Montholon conserve les assiettes et les distribue.
Vingt-trois assiettes du service particulier de l’Empereur sont aujourd’hui conservées au château de Fontainebleau, dix-neuf à la Fondation Napoléon, trois au château de la Malmaison, trois au musée royal de l’armée de Bruxelles, deux au musée de Sèvres, une au musée du Louvre et quelques autres dans des collections particulières (voir les ventes Osenat, Fontainebleau, 16 novembre 2014, lot 129 ; 2 février 2017, lot 210 ; 5 mai 2021, lot 220).
Voir Bernard Chevallier, Trésor de la Fondation Napoléon, dans l’intimité de la Cour Impériale, exposition 28 septembre 2004-3 avril 2005, pp. 127-139, Bernard Chevalier, Sainte-Hélène, île de mémoire, 2005, p. 115, , Christophe Beyeler, « La collection de porcelaines de Sèvres du musée Napoléon 1er au château de Fontainebleau, le service particulier de l’Empereur », Napoléon Ier et Sèvres, L’art de la porcelaine au service de l’Empire, ouvrage collectif sous la direction de Camille Le Prince, Paris, 2016, pp. 80-90.

LES FÊTES FUNÈBRES POUR LE GÉNÉRAL DESAIX


Cette assiette, emportée par Napoléon lors de son exil à Sainte-Hélène, est l’une des plus belles et des plus originales du service particulier de l’Empereur. La scène centrale représente la fête organisée sur le mont Saint-Bernard lors des funérailles du Général Louis Charles Antoine Desaix (1768-1800).
Pour célébrer le héros victorieux de la bataille de Marengo où il perd la vie le 25 prairial an VIII, plusieurs monuments, fontaines et bustes sont érigés à Paris, place des Victoires, place Dauphine, au Luxembourg et aux Tuileries. Napoléon commande également un tombeau pour Desaix à placer au mont Saint-Bernard. Le passage des Alpes par le mont Saint-Bernard plutôt que par le mont Cenis fut décisif dans la victoire de Marengo et Napoléon garde le souvenir de la qualité de l’accueil de l’armée par les moines. En janvier 1803, il décide d’y célébrer une cérémonie funèbre le 14 juin suivant. Le sculpteur Moitte est alors chargé de l’exécution du mausolée en marbre de cinq mètres de haut sur plus de trois de base mais dont la réalisation ne peut se faire en quelques mois. En 1805, las d’attendre, Napoléon décide que les funérailles officielles de Desaix auront lieu le 14 juin suivant. Le projet des cérémonies est confié à Dominique Vivant-Denon qui avait bien connu Desaix en Egypte. Il rapportera de Milan le corps de Desaix - où il a été embaumé, sur ordre de Bonaparte.
Dans l’hospice du mont Saint-Bernard, Denon prévoit l’édification d’une chapelle pour recevoir le monument et se félicite de l’emplacement : « le choix du local est d’une excellente idée. Le silence et le recueillement du site ajouteront infiniment à la sensation qu’on a voulu produire ». Il prévoit que Napoléon sera sur place. Dans une lettre adressée à Napoléon le 20 avril 1805, Denon détaille le projet de la cérémonie :
Sire,
J’ai reçu la lettre de Monsieur le grand maréchal par laquelle il me transmet l’ordre de Votre Majesté de me rendre à Milan par le Saint-Bernard. Je ne puis vous exprimer le sentiment d’enthousiasme que m’a fait éprouver un pareil ordre. J’ai déjà pris des mesures nécessaires pour que le morceau de marbre de la première assise du monument de Desaix fût porté au mont Saint-Bernard avec un buste en marbre de ce général. Je fais joindre à cet envoi le simulacre du tombeau achevé, qui produira tout l’effet que l’on obtiendra de son exécution. Je ferai prendre à Verceil ou à Milan les restes de Desaix pour être transportés avant le 25 prairial, afin qu’en posant la première pierre de la décoration, Votre Majesté puisse sceller le corps dans le tombeau. La présence réelle ajoute beaucoup à l’intérêt d’une telle cérémonie. J’emporterai de la musique funèbre et de la musique militaire pour y être exécutée.
Persuadé de votre assentiment, Sire, je fais graver une médaille où ce tombeau sera représenté et au revers, dans une couronne de lauriers et de cyprès, une inscription analogue à l’objet, à la circonstance et à l’époque. Cette médaille en or et en argent sera renfermée dans une boëte de plomb et scellée en votre présence sous la pierre que vous poserez. Il y sera joint, sur une plaque en cuivre, une inscription française et latine dont je remets ici copie. Si Votre Majesté veut y faire quelques changemens, je la ferai regraver à Milan. Ce choix d’honneurs rendus aux mânes de Desaix est tout à la fois noble, pieux et touchant, digne enfin de Votre Majesté. Douze phrases d’éloge faites par elle-même dans cette circonstance achèveraient l’impression que cette cérémonie doit produire. On se souvient aujourd’hui de l’éloge fait par Périclès des guerriers morts à la guerre du Péloponèse. Celui de Desaix pourrait être inscrit sur le tombeau et déposé en bronze dans le sarcophage. Les généraux et les soldats présens pourraient chacun y déposer une branche de laurier ; ce guerrier recevrait ainsi ce qui a été l’objet de toutes les actions de sa vie.
Après cette cérémonie religieuse, on pourrait passer à des jeux funèbres ainsi qu’il s’en pratiquait dans l’antiquité. Le buste de Desaix entouré d’un faisceau de ses propres armes serait porté par quatre généraux ; des tires, des jeux seraient exécutés autant que le site pourrait le permettre, et pour prix distribués par Votre Majesté il y entrerait des médailles frappées à cette occasion. Ces jeux présidés par Votre Majesté rappelleraient ceux d’Achille pour la mort de Patrocle.
Je pars après-demain. J’emmène avec moi un dessinateur auquel je ferai dessiner, chemin faisant, l’aspect de tous les points importans de la marche de l’armée de réserve dans la campagne de l’an VIII.

(Lettre n°AN36, 20 avril 1805, Archives nationales AF IV 1050 dr 1 n° 21, Denon)

Ce sont précisément ces jeux funèbres qui sont représentés au centre de cette assiette que le peintre Swebach a réalisée en juillet 1808 d’après un dessin de Dominique Vivant-Denon (Bernard Chevalier, Saint-Hélène, Ile de Mémoire, 2005, p. 115).

JACQUES FRANÇOIS JOSEPH SWEBACH

Jacques François Joseph Swebach (1769-1823), fils et élève du peintre Louis Swebach Desfontaines, débute sa carrière en 1783 en exposant au Salon de la Correspondance, se spécialisant rapidement comme peintre et graveur de chevaux et scènes de bataille. Il entre en 1802 à la manufacture de Sèvres comme peintre de batailles, de scène de genre et de paysage, participant à la réalisation des services les plus prestigieux comme le service particulier de l’Empereur, les deux services Egyptiens, les deux services Encyclopédiques ou encore le service des vues diverses. En 1814, Swebach est appelé en Russie par le Tsar Alexandre 1er, sans doute séduit par sa peinture sur le service égyptien que Napoléon lui offrait en 1808. Swebach est alors nommé premier peintre et directeur de la manufacture Impériale de porcelaine de Saint-Pétersbourg où il travaille jusqu’en 1820.