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CHINE
247.840,00 euros - Gros et Delettrez, Hôtel Drouot, 2 avril 2007

Vendu 247.840,00 euros

CHINE

Rare gourde dite bao yue ping ou bian hu en porcelaine blanche, le corps de forme circulaire, la base légèrement concave laissée en biscuit, le col cylindrique légèrement évasé relié à l’épaulement par deux anses latérales en volute, décor en bleu sous couverte sur les deux faces de branches de litchis portant des fruits et fleurs (Litchi chinensis), sur la partie inférieure d’une frise de vagues écumantes, sur l’épaulement d’une frise de rinceaux et sur le col de feuilles de bananier.
Dans le style des porcelaines du début de la dynastie Ming, XVIIIème siècle, probablement période Yongzheng, dynastie Qing.
Au revers une étiquette portant le numéro 1195 écrit à l’encre brune.
Haut. : 26,5 cm.

-  Provenance : Ancienne collection Joseph Henry Barbet de Jouy (1812-1896) puis restée dans sa descendance jusqu’à aujourd’hui.


English Text

Rapport d’état de conservation disponible sur demande


La datation de cette gourde est cohérente avec le résultat du test de thermoluminescence effectué à Oxford le 8 mars 2007 n° P107f52, estimant la date de la dernière cuisson entre 400 et 250 ans.

Cette gourde est accompagnée d’un certificat de libre circulation


Les porcelaines reproduisant les modèles Ming étaient fortement appréciées par l’Empereur Yongzheng et d’après le Jiangxi tongzhi (Description Générale de la Province de Jiangxi) rédigé par Xie Min, gouverneur de la province de Jiangxi en 1732, il apparaît qu’un grand nombre de copies de porcelaines Ming étaient commandées par la Cour pour être exécutées dans les fours impériaux de Jingdezhen. La présence au Palace Museum de Pékin de copies de porcelaines des périodes Yongle et Xuande, exécutées sous le règne de Yongzheng le confirme (voir par exemple le vase à panse carrée décoré de volubilis portant la marque de l’Empereur Yongzheng et reproduisant un modèle Xuande ou le bassin décoré de vagues et motifs rayonnants d’après le modèle Yongle : Geng Baochang, Gugong Bowuyuan cang Ming chu qinhua ci, Beijing, 2002, vol.2, n° 186, p. 346-347 et n° 196, p. 364-365 et pour une discussion des porcelaines de la période Yongzheng inspirées des modèles du 15ème siècle, voir Julian Thomson Chinese Porcelain : The S.C. Ko Tianmianlu Collection, Hong Kong, 1987, part II, p.29-30.)

Aucune gourde décorée de litchis datant du XVIIIème siècle reproduisant fidèlement le modèle Yongle ne semble répertoriée aujourd’hui. La gourde la plus proche (Sotheby’s, New York, 3 juin 1992, lot 234) présente un grand nombre de variations par rapport au modèle Ming : une branche plus ramassée, des vagues dans un style très différent et dirigées de droite à gauche et des rinceaux entourant le col et non l’épaulement. Une autre gourde plus éloignée encore est décorée d’une branche de litchis verticale entre des frises de ruyi, le col décoré de bambous (Sotheby’s, Hong Kong, 21 mai 1983, lot 120).
Notre gourde suit au contraire fidèlement le modèle Yongle ; les seules différences de décor avec les exemplaires connus apparaissent sur l’épaulement et le col. La forme est légèrement plus étirée et les anses moins saillantes. En revanche, une comparaison de la gourde du British Museum et de la notre, placées côte à côte, a permis d’observer que le bleu et l’émail sont de couleurs similaires et que les deux gourdes ont une surface irrégulière très comparable.
Notre, gourde, extrêmement bien exécutée, pour laquelle non seulement le dessin, la couleur mais l’aspect même de la porcelaine ont fait l’objet de la plus grande attention, est ainsi un témoignage passionnant d’une part de l’histoire de la céramique chinoise, lorsque les empereurs de la Dynastie Qing regardèrent avec admiration les porcelaines du début de la période Ming, qui elles-mêmes avaient trouvé inspiration dans les formes du Proche-Orient.
Comme d’autres formes réalisées en porcelaine sous le règne de Yongle, le dessin de ces gourdes est inspiré des gourdes de pèlerin plus anciennes, d’origine étrangères, généralement destinées à contenir du vin. Jessica Harrison-Hall (op. cit.,p.109) note que le vin de litchi était consommé en Chine du Sud sous la Dynastie Ming et qu’il est probable que les gourdes en porcelaine décorées de litchi étaient destinées à contenir du vin de litchi.

Le litchi est un symbole propice, évoquant les bons vœux pour la naissance d’un garçon. C’est aussi un symbole d’amour. La princesse Yang Guifei, concubine impériale du sixième empereur de la dynastie Tang, Xuanzong (712-756), avait une passion pour ce fruit. L’empereur les lui faisait parvenir depuis Canton jusqu’à son palais au Nord par un relais de gardes montés sur des chevaux rapides. Le litchi est cultivé en Chine depuis plus de 4000 ans, il a été décrit pour la première fois en Europe en 1782 par un naturaliste Français, Pierre Sonnerat (1748-1814), dans le compte-rendu de son Voyage aux Indes orientales et à la Chine, fait depuis 1774 jusqu’à 1781.


Joseph Henry Barbet de Jouy, conservateur au Louvre et collectionneur de porcelaine

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Un goût précoce pour les arts

A l’âge où l’on ne rêve que de jouets, où l’idéal est un cheval de bois, un bateau mécanique, un chemin de fer en miniature ; à douze ans, M. Barbet de Jouy se faisait donner par sa grand’mère, quoi ? ..... Une potiche chinoise ! La vocation était bien marquée.

C’est ainsi que, sous la plume de Charles Ephrussi, dans l’introduction du catalogue de la vente de sa collection en 1879, Henry Barbet de Jouy évoque l’origine de sa passion : passion pour les objets d’art d’une part qui le conduira jusqu’au musée du Louvre et passion pour la porcelaine de Chine aussi qui le conduit aujourd’hui jusqu’à nous.

Henry Barbet de Jouy, né le 16 juillet 1812 près de Rouen, est issu d’une famille protestante. Son milieu familial a sans doute favorisé le développement du goût du futur conservateur. Son père, Juste Barbet, devient en 1815 propriétaire de la manufacture de toiles imprimées de Jouy-en-Josas, fondée par Oberkampf en 1759. Son oncle Auguste, frère de Juste, collectionne d’importants tableaux anciens dont Titien, Rubens, Léonard de Vinci, Rembrandt ou Van Dyck.

Jeune homme, il étudie le droit et l’architecture et parallèlement poursuit sa quête de porcelaines chinoises. Charles Ephrussi souligne ainsi cette précocité : Parlait-on de quelques échantillons rares oubliés à Rome ou à Naples, à Madrid ou à Séville, M. Barbet de Jouy sentait aussitôt le besoin du pays du soleil et, par hasard, partait pour l’Italie ou l’Espagne. L’austère étude du droit ne glaçait point de si nobles ardeurs : entre deux examens il achetait une paire de vases de Kien Long.

La reconversion obligée de son père - la manufacture des toiles fait faillite en 1843 - en libérant Henry du devoir de reprendre l’entreprise familiale, le conduit à choisir une nouvelle carrière, celle de conservateur.

Une carrière au Louvre

Henry Barbet de Jouy entre au Louvre en 1850 au département des Antiquités Egyptiennes puis en 1852 au département des Sculptures du Moyen Âge et de la Renaissance. Il est nommé en 1855 au poste de conservateur au musée des Antiques et de la Sculpture Moderne. Il publie cette année un catalogue : Musée Impérial du Louvre, description des sculptures modernes.
A partir de 1863, il est nommé conservateur du Musée des Souverains et des objets d’art du Moyen Âge et de la Renaissance. Le Musée des Souverains, créé au début du Second Empire en 1852, était destiné à « recevoir tous les objets ayant appartenu authentiquement aus souverains qui ont régné sur la France » afin d’insister sur une continuité historique entre la monarchie et le nouveau régime.
Le second catalogue publié par Barbet de Jouy paraît en 1867 sous le titre Notices des antiquités, objets du moyen âge, de la Renaissance et des temps modernes composant le Musée des Souverains et la même année il publie Galerie d’Apollon. Notice des gemmes et joyaux.

Durant la période trouble des années 1870-1871, bien que bonapartiste, Barbet de Jouy demeure au Louvre et se voit confié la conservation de la sculpture moderne et des objets d’art. Il défend courageusement le musée au cours des journées du 22 et 23 mai 1871 contre les fédérés et les flammes qui détruisent les Tuileries voisines. Il est élevé pour cette sauvegarde au titre d’officier de l’ordre de la Légion d’honneur.

Il participe en 1874 à la publication du catalogue de la collection Lenoir (Musée national du Louvre. Don de M. et Mme Philippe Lenoir) puis il est nommé en 1879 administrateur des musées nationaux. C’est à ce titre qu’il intervient avec Tauzia, conservateur des peintures au Louvre, en 1879, pour décider du choix d’œuvres qui resteront dans les collections de l’Impératrice Eugénie et de celles qui seront réservées à l’Etat. Il est révoqué par l’administration en juillet 1881, peut-être pour son inclination bonapartiste, ainsi passait-il, comme le souligne le comte d’Ussel, pour conserver des amitiés suspectes qui avaient été celles de toutes sa vie (Comte d’Ussel, Barbet de Jouy, son journal pendant la commune, Revue Hebdomadaire, X, 1898).

Barbet de Jouy note, avec émotion sans doute, le 10 juillet 1881 : Je suis séparé du Louvre, mais il est tellement en moi qu’il me semble que je l’emporte (bien que je le laisse à tout le monde). Personne ne peut m’ôter ce que j’y ai acquis et qui m’en assure jusqu’à la fin de ma vie, la pratique puis le souvenir utiles et doux : tant que je pourrai simultanément, puis séparément, voir, marcher, penser. (Lettre à Maxime Du Camp, Bibliothèque de l’Institut, Ms 3763, f° 56). Nommé administrateur honoraire du Louvre le 12 octobre 1881, il passe les quinze dernières années de sa vie en face du musée du Louvre, au 1 quai Voltaire, où il s’éteint le 26 mai 1896.

Henry Barbet de Jouy et la porcelaine de Chine

Dès son plus jeune age, il est pris de passion pour la porcelaine chinoise et ne cessera de les collectionner. Charles Ephrussi décrit en 1879 cette ferveur :
L’enfant était désormais voué au dieu des collectionneurs, - car il y en a un, - à ses pompes et à ses œuvres, aux joies et aux tourments du culte le plus impérieux. Les porcelaines s’étaient emparées de lui : à partir de ce don fatal d’une grand’mère imprudente, il devait les poursuivre partout, dans les vitrines des marchands de curiosités, aux étalages des vendeurs de bric à brac, dans l’arrière boutique des brocanteurs. Annonçait-on une vente fameuse, il était sur la brèche au premier rang et bravait le feu des enchères avec l’intrépidité de l’amateur passionné, s’attachant à l’objet convoité, le disputant à tous, ne quittant le champ de bataille qu’avec son trophée. On le voyait tour à tour aux ventes Louis Fould, Daigremont, Ferrol, dont les plus belles pièces ont formé le fond de sa collection.

Barbet de Jouy écrit dans la préface de l’Histoire du mobilier publié par Albert Jacquemart en 1876 ce commentaire empreint d’humilité : Ce n’est que justice si ces vases de la Chine, quand ils sont de dates anciennes et de parfaite réussite, sont l’objet de la prédilection des plus difficiles parmi les amateurs : où trouver des formes plus pures, s’adaptant mieux à tous nos usages, des colorations plus fraîches et vives d’une variété prodigieuse, au point que nul ne pourrait se vanter de connaître tout ce qu’on imaginé et exécuté les céramistes d’Orient.

Cette modestie, qui correspond avant tout à un faible état des connaissances à la fin du XIXème siècle, est également soulignée par Charles Ephrussi : Ne lui parlez pas de son savoir en pareille matière ; il vous dira qu’il s’y entend peu ou point ; qu’il a acquis ces objets parce qu’ils lui ont semblé beaux et qu’il ne faut pas lui en demander davantage.

En 1879, Henry Barbet de Jouy décide de se séparer de sa collection de porcelaines de Chine ainsi que de quelques bronzes, jades et pièces d’orfèvrerie. La vente a lieu à l’Hôtel Drouot les 24 et 25 mars 1879, organisée par Me Charles Pillet, commissaire priseur.

Le catalogue, rédigé par Paul Gasnault, comporte 195 porcelaines chinoises réparties suivant leur forme. Aucune datation n’est proposée, les descriptions permettent difficilement une identification et aucun objet n’est reproduit.
En revanche, Albert Jacquemart illustrait en 1876 dans son Histoire du Mobilier un vase en porcelaine de Chine que Barbet de Jouy avait acheté lors de la dispersion de la collection de Louis Fould (Paris, 5-9 avril 1869) : Un vase meiping mesurant avec son pied 68 cm de haut, sans doute de la période Kanghi, ainsi décrit : couverte bleu turquoise truitée, décors de relief et gravures sous couverte : le dragon impérial à cinq griffes dans les nuages ; à la base les flots de la mer au dessus desquels émerge la tête d’un second dragon.
Un vase très similaire est aujourd’hui conservé à l’Asian Art Museum de San Francisco (n° inv. B65P9) et reproduit par He Li, Chinese Ceramics, 1996, n° 564, p. 284.

Sous la description de deux objets dans la vente, il est expressément indiqué qu’ils proviennent du Palais d’Eté. Il s’agit de deux théières, la première sous le n°130 : une théière ovoïde à couvercle bombé, fond vert d’eau à rinceaux fleuris dans le goût et les colorations des émaux peints, sur chaque face, dans un médaillon lobé en réserves des tiges d’arbrisseaux fleuries finement peintes, en dessous un cachet en rouge Kien Long.

Le second, sous le n° 234, est également une théière mais en jade blanc à godrons, le déversoir en forme de tête de chèvre, l’anse en bronze doré et émaux cloisonnés composée de trois branches formées par des sceptres. Barbet de Jouy avait acheté cette théière à la vente du vicomte Paul Daru (18-19 février 1867), mais peut-être avait-il acheté la première aux ventes des objets provenant du Palais d’Eté qui eurent lieu à Paris à partir du 2 décembre 1861 et jusqu’en 1864. Les objets figurant dans ces ventes sont précisement décrits lorsque les catalogues sont rédigés par l’expert Manheim. Notre gourde n’est mentionnée dans aucun de ces catalogues. Les autres catalogues, souvent rédigés par l’expert Dhios, sont des listes sommaires et non exhaustives.

Barbet de Jouy semble acheter une grande partie de ses porcelaines dans les ventes des collections dispersées principalement dans les années 1860 : la collection Poinsot, ancien président de chambre de la Cour Impériale (25-26 février 1861), la collection Daigremont (11-18 mars 1861), la collection Juste (6-7 mars 1863), la collection Ferrol (17-19 mars 1863), la vente des collections du duc de Morny, demi frère de Napoléon III (31 mai 1865), la collection du baron de Monville (12-13 février 1866) ou encore la collection du duc de Montebello (31 mai 2 juin 1877). Notre gourde ne figure dans aucune de ces ventes.

Si Henry Barbet de Jouy disperse sa collection, il garde quelques objets, sans doute les plus chers à son cœur, dont notre gourde décorée de litchis.


 

 

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