PROVENANCE
Service particulier de l’Empereur, livrée au Grand Maréchal du Palais le 30 janvier 1812 ;
Emportée par Napoléon à Sainte-Hélène ;
Offerte par le comte de Montholon au fils du comte Emmanuel de Las Cases après la mort de l’Empereur. ;
Par descendance jusqu’à l’actuel propriétaire.
En octobre 1807, l’Empereur Napoléon 1er commande un nouveau service à la manufacture de Sèvres pour remplacer le service Olympique qu’il vient d’offrir au Tsar Alexandre 1er.
Ce service, nommé service particulier de l’Empereur est plus tard désigné Service des Quartiers Généraux ; cette appellation, déjà employée par le fidèle valet de chambre Marchand lors du départ pour Sainte-Hélène, pourrait faire référence aux quartiers généraux que Napoléon occupait pendant ses campagnes, dont plusieurs sont représentés sur les assiettes.
Le service est livré le 27 avril 1810 au Palais des Tuileries, juste à temps pour figurer sur la table de banquet du mariage avec l’archiduchesse Marie-Louise d’Autriche le 2 avril 1810.
Napoléon envisageait depuis longtemps un second mariage pour accéder au pouvoir politique et avait entamé une procédure de divorce avec sa première épouse, Joséphine, en 1809. Son premier choix s’était porté sur Anna Pavlovna, la plus jeune sœur du tsar Alexandre Ier de Russie. Mais les négociations durent plus longtemps que prévu et l’Autriche, soucieuse d’affirmer sa place entre la Russie et la France, deux superpuissances alliées, souhaite proposer Marie-Louise, fille de l’empereur François II d’Autriche. Le couple est marié par procuration à Vienne le 11 mars et par l’État français le 1er avril. La cérémonie religieuse du mariage a lieu le lendemain, le 2 avril, dans le Salon Carré du Louvre, temporairement transformé en chapelle. Napoléon et Marie-Louise se rendent ensuite aux Tuileries en passant par la Grande Galerie, où a lieu un banquet officiel, du grand couvert.
Le service se composait d’un service d’entrée et d’un service de dessert accompagné d’un large surtout en biscuit composé de vingt-cinq sculptures et un cabaret égyptien de vingt-neuf pièces, l’ensemble pour la somme considérable de 69.549 francs. Le service était également accompagné notamment d’une peinture par Alexandre Dufay dit Casanova, aujourd’hui conservée au Château de Fontainebleau, illustre le banquet du mariage où sont représentés autour du service Grand Vermeil de l’Empereur plusieurs éléments du surtout en biscuit.
Le service d’entrée comprenait vingt-quatre assiettes creuses, huit beurriers, dix-huit pots-à-jus et quatre saladiers et le service à dessert comprenait soixante-douze assiettes peintes, vingt-quatre assiettes à monter à bordure seulement, douze compotiers, deux vases à glace, quatre sucriers et dix corbeilles. Parmi ces dix corbeilles figuraient deux larges corbeilles anses serpent richement dorées, récemment acquises par le château de Fontainebleau auprès de Christie’s, Paris, 24 avril 2024, lot 450.
Pour les assiettes peintes, l’instruction de Napoléon transmise par Daru à Alexandre Brongniart, directeur de la manufacture de Sèvres, est la suivante : que parmi ces dessins, il n’y ait point de bataille ni de noms d’hommes mais qu’au contraire, les sujets n’offrent que des allusions très indirectes qui réveillent des souvenirs agréables.
L’Empereur fournit lui-même 28 sujets : 4 pour les deux campagnes d’Italie, 15 pour l’expédition d’Égypte, 3 pour la campagne d’Autriche, et les 6 autres pour les campagnes de Prusse et de Pologne. Alexandre Brongniart, aidé par Vivant Denon, complète les sujets par d’autres événements marquants des mêmes campagnes, ainsi que des vues de Paris, des résidences impériales, des grandes institutions de l’Empire et des travaux majeurs réalisés en province. Chaque assiette coûtait 425 francs, un montant alors sans précédent. Pour le dessin de l’aile, on utilise une bordure de glaives antiques, conçue en avril 1807 par l’architecte Alexandre-Théodore Brongniart, père du directeur de la manufacture. Il est finalement décidé d’adopter le ton vert de chrome, récemment développé par le chimiste Vauquelin. Les peintres commencent leur travail en janvier 1808 et l’achèvent en mars 1810. Avec les divers cadeaux faits par l’Empereur nécessitant des réassortiments, la manufacture de Sèvres produit au total 82 assiettes, mais la table des Tuileries n’en comporta jamais plus de 72 à la fois.
Lors de la 1re Restauration en 1814, les soixante-douze assiettes conservées aux Tuileries sont envoyées à la manufacture de Sèvres afin d’y faire meuler la marque du premier Empire pour la remplacer par les deux L entrelacés gravés en noir, chiffre de Louis XVIII. Chaque assiette est alors également numérotée en creux et en noir. Napoléon retrouve son service pendant les Cent-Jours et après Waterloo, en juin 1815, Fouché l’autorise à emporter soixante assiettes à Sainte-Hélène. Napoléon n’utilise pas ce service de crainte qu’il ne soit cassé. Il offre deux assiettes lors des étrennes de 1817, l’une à Mme Bertrand, l’autre à Mme de Montholon. Le Mamelouk Ali note dans ses mémoires : « A Diner, [l’Empereur] s’amuse à regarder les peintures des assiettes du beau service de porcelaine de Sèvres. Il est à observer que sous ces assiettes, les Bourbons avaient fait graver le chiffre de Louis XVIII, des L opposés ». Dans un état daté du 15 avril 1821 annexé à son testament, Napoléon précise : « 1° Mon médailler. 2° Mon argenterie et ma porcelaine de Sèvres dont j’ai fait usage à Sainte-Hélène. 3° Je charge le comte Montholon de garder ces objets et de les remettre à mon fils quand il aura seize ans ».
La Cour de Vienne refuse ce legs au duc de Reichstatd et Montholon conserve les assiettes et les distribue, notamment au fils de Las Cases. En 1851, le fils du comte de Las Cases en possédait encore vingt-quatre.
254 assiettes du service particulier de l’Empereur sont aujourd’hui conservées au château de Fontainebleau, dix-neuf à la Fondation Napoléon, trois au château de la Malmaison, trois au musée royal de l’armée de Bruxelles, deux au musée de Sèvres, deux au musée du Louvre et quelques autres dans des collections particulières. Une assiette de ce service, peinte d’une scène représentant la fête au mont Saint-Bernard à l’occasion des funérailles du général Desaix, a été vendue le 9 novembre 2021 chez Osenat, à Fontainebleau (pour 350 000 euros). Une autre, peinte avec Frédéric le Grand et ses lévriers dans les jardins du palais de Sans-Souci à Potsdam, a été vendue dans les mêmes salles le 5 mai 2021, lot 220 (pour 243 750 euros). Une autre peinte avec la frégate " La Muiron " débarquant à Ajaccio avec le général Bonaparte en octobre 1799 a été vendue dans les mêmes salles le 2 juillet 2017, lot 210 (pour 306 250 euros). Une autre, peinte avec le camp de l’Empereur sur l’île de Lobau en 1809, a été vendue dans les mêmes salles le 16 novembre 2014, lot 129, (pour 410 000 euros).
La décision de transférer la manufacture de porcelaine de France installée à Vincennes, qui dispose d’un privilège royal et dans laquelle le roi Louis XV a pris une participation, est adoptée en 1752, peut-être sur les recommandations de Madame de Pompadour, décision motivée par la trop grande distance entre Vincennes et Versailles. La construction débute en 1753, en contrebas du Château de Bellevue qui appartient à la marquise de Pompadour. Le nouveau bâtiment à Sèvres est spécialement conçu pour y produire la porcelaine ; ainsi, le dernier étage est réservé aux peintres et doreurs qui y disposent du meilleur éclairage, un magasin de ventes est créé et le roi y dispose d’une entrée réservée et d’appartements privés. Le transfert s’opère par étapes au cours de l’année 1756. La manufacture restera à cet emplacement jusqu’au déménagement dans l’actuelle manufacture en bord de Seine en 1876. Très rapidement, le roi Louis XV emploie la porcelaine de la manufacture de Sèvres pour faire la démonstration du luxe français. Déjà, en 1749, quand la manufacture était encore installée au château de Vincennes, la Dauphine, Marie-Joseph de Saxe, faisait parvenir un grand bouquet de fleurs en porcelaine à son père Auguste III, Électeur de Saxe et roi de Pologne, démontrant l’achèvement auquel la manufacture française était parvenue. Le premier grand présent diplomatique constitué de porcelaines de Sèvres est le grand service à fond vert offert par Louis XV en 1757 à Frédéric V, roi du Danemark et marque le début d’une durable tradition de présents de porcelaine de Sèvres à des fins diplomatiques. Les ambassadeurs de France auprès des Cours européennes, dotés de services en porcelaine de Sèvres, font également la promotion des produits de la manufacture devenue royale.
Napoléon accroît considérablement le rôle qu’il entend faire jouer à la manufacture de Sèvres et aux images qu’elle produit. Non seulement, il renouvelle et multiplie les présents de porcelaines à visée diplomatique mais la porcelaine devient un outil de propagande. La diffusion par l’image de l’héroïsme impérial et du culte de l’Empereur et des membres de la famille impériale, agrémentés de symboles de puissance militaire et de références antiques, participe à la légitimation de son pouvoir. Ainsi, la manufacture de porcelaine de Sèvres, désormais sous la direction d’Alexandre Brongniart, occupeune place essentielle pour assurer la propagande impériale. La représentation de la manufacture désormais « impériale de Sèvres » sur une assiette du service particulier de l’Empereur est ainsi pleinement fondée.
Parmi les 72 assiettes livrées avec le service particulier de l’Empereur au Palais des Tuileries le 27 avril 1810 figurait une assiette décorée d’une vue de la manufacture de porcelaine de Sèvres peinte par Jean-François Robert en février et mars 1808. Cette assiette est donnée par Napoléon à ses beaux-parents, l’empereur François 1er et l’impératrice Marie-Ludovika d’Autriche en juillet 1810. Cette assiette est aujourd’hui conservée à la Fondation Napoléon. Robert réalise une seconde version entre décembre 1810 et mars 1811 (arch. Sèvres, Vj’15). Cette assiette est livrée à l’Empereur Napoléon le 30 janvier 1812 avec trois autres assiettes représentant le Palais de Saint-Cloud, le Palais des Tuileries et le Jardin des plantes. L’assiette de 1811 avec la vue de la manufacture impériale de porcelaine de Sèvres figure parmi les 60 assiettes emportées par l’Empereur à Sainte-Hélène.
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